Interview de Taïbou Mbaye paru dans REUSSIR Magazine Juin 2010
TAIBOU MBAYE (MAZARS)
«Une Ecole de la Vie…»
En tant que membre de la première promotion d'élèves sénégalais admis en 1977 au Collège du Monde Uni, à Atlantic College (Grande Bretagne), Taïbou Mbaye, Expert-comptable diplômé, Administrateur Général de Mazars Sénégal, revient, pour REUSSIR, sur cette expérience unique qui a forgé l'homme qu'il est devenu et le professionnel qui fait partie des meilleurs de sa corporation. Il a même été Président de l'Ordre national des Experts- comptables et Comptables agréés (ONECCA).
Pouvez-vous nous rappeler votre entrée au Collège du Monde Uni ?
En vérité, quatre mois avant d'y aller, je ne connaissais pas l'existence du Collège du Monde Uni. A l'époque, j'avais de très bons résultats scolaires, notamment en maths. Suite à ces résultats, j'avais été identifié et sélectionné. On nous avait fait faire des tests puis j'avais été choisi pour intégrer ce collège. C'était la première promotion et nous étions quatre, Mame Maguette Sow, Aminata Diop, Safiétou Diallo et moi. Un changement important puisqu'on s'est retrouvé très vite, en moins de deux mois, d'un environnement francophone à autre totalement anglophone. Un changement radical puisqu'il n'y avait pas un temps d'adaptation.
Dés notre arrivée, nous étions censés être en mesure de faire tous les cours en Anglais. C'était une mutation très importante qui demande une grande capacité d'adaptation avec des changements en termes de climat, d'environnement, de système éducatif, de mode d'enseignement, de contenu de programmes. Ça a été une révolution. Nous étions relativement jeunes, 16 ans, en fait des adolescents. Atlantic College est école qui m'a beaucoup enchantée. C'est, probablement, une des meilleures expériences de ma vie. Je me retrouve dans un système éducatif complètement différent. D'un système avec un fort focus sur le scolaire, je me suis retrouvé dans un autre avec une organisation différente, une stratégie de formation, une pédagogie et des valeurs différentes. Au Collège du Monde Uni, le niveau est très élevé et compétitif avec pas moins de 120 nationalités différentes. Un vrai melting-pot avec des gens venant d'horizons et de cultures différents, un passé, une langue et un système éducatif complètement différents et ceci a été une expérience positive pour moi.
En dehors de l'académique, qu'est qu'on y apprend d'autre ?
Un des principes de base de l'école, c'est développer la compréhension entre les nations. Pour ce faire, il faut que les peuples se connaissent, échangent leurs cultures, leurs valeurs et ça, c'est important pour la promotion internationale de l'éducation et le développement de la coopération internationale. Dès votre arrivée, vous étiez obligé de partager un appartement avec des personnes de race et de religion différentes. J'étais avec un Japonais, un juif allemand, un Brésilien d'origine Afro-indienne, un Américain et un Espagnol. Le fait de vivre avec ces gens, de partager le même appartement, la même grande chambre, ça développe une ouverture d'esprit remarquable. On apprend à se comprendre, à se tolérer, on fait attention à ce que fait l'autre et aussi à ce qui ne lui plait pas. Ce qui est essentiel dans cet univers international. On apprend à être tolérant, à voir que les gens ont des approches différentes de la vie. Ils ont des valeurs qui ne sont pas les nôtres. Il s'agit là de principes forts que j'ai appris au niveau du Collège. Cette ouverture d'esprit, cet échange interculturel, cette compréhension de l'autre, c'est quelque chose de fondamental.
Ensuite, dans cette école, il n'y avait pas que le scolaire. On nous y a appris beaucoup d'autres aspects de la vie. Je me souviens de l'une de mes premières activités, participer au système d'élevage de l'école. On devait s'occuper, à six heures du matin sous un vent glacial et une température de zéro degré, des vaches et moutons de l'école, à travers l'alimentation et l'extraction du lait de vache, le nettoyage des enclos. Vous imaginez que ce n'était pas du tout facile pour un gosse venant d'un pays sahélien. Une expérience comme ça, ça te forge pour de bon. On se réveille tous les jours très tôt, il faut faire du sport qui est obligatoire. On avait la possibilité de faire plusieurs activités éducatives. C'est là-bas où j'ai appris à faire de la cuisine, du développement de la photo. On y apprend énormément de choses. Donc, c'est une vision complète de la vie. On a la possibilité d'aller aider de vieilles dames, dans des maisons de retraite. Toutes les deux semaines, le dimanche, on s'y rendait et on s'occupait de quelqu'un. On lui faisait ses courses, on nettoyait sa chambre, on lui tenait compagnie. Donc, une éducation très complète, qui n'est pas seulement scolaire, intellectuelle ou académique mais qui embrasse tous les autres aspects de la vie. Comme le sport, le comportement social, les activités extra-sportives… Il faut savoir, par exemple, que ce sont les élèves, eux-mêmes, qui assuraient ce qu'on appelle le Live Rescew, c'est-à-dire le sauvetage en mer sur la côte qui borde l'école sur plusieurs miles. Il y avait des canoës et on s'entrainait pour ça. On faisait la veille, on était en alerte et lorsqu'il y'avait une noyade, on prenait les canoës pour aller sauver les noyés. Une expérience magnifique car on peut avoir l'impression, du dedans, que c'est un peu dur. On a des journées longues et beaucoup de choses à faire.
Sur le plan de la compétition, est-ce qu'il y avait une égalité des chances ?
Effectivement, il y avait une égalité des chances. A l'époque, le collège recrutait uniquement sur la base du mérite, des gens de très grande qualité. Il y avait la possibilité d'échanger avec des gens très intéressants, de tester ses capacités et son niveau. Ça m'a beaucoup marqué car tout le monde était traité à la même enseigne. Ça commençait par l'uniforme, la cravate et se terminait par l'argent de poche. Pour ma génération, tout le monde avait le même montant. Même si vous aviez des parents riches qui vous envoient de l'argent, vous ne le receviez pas forcément.
Ce sont des tranches d'âges importantes dans la vie, une expérience magnifique sur tous les plans. J'y ai énormément appris sur le plan académique, ça m'a permis d'être bilingue parce que je n'avais pas le choix. Certes, j'avais un très bon niveau en Anglais mais quand vous devez, une semaine après votre arrivée, faire tous vos cours et devoirs dans cette langue, ce n'est pas évident. C'est là qu'on se rend compte que notre système éducatif n'est pas si nul que ça. Je peux prendre à témoin des gens comme Victor Ndiaye, Makha Sy, Pape Madiaw Ndiaye,… Nous n'avons pas bénéficié, pour la plupart, de privilèges spécifiques et le fait qu'on soit arrivé à s'adapter, dans un environnement aussi différent, prouve que le système n'est pas si mal. On a pu s'étalonner avec un certain nombre d'intelligences. Au final, ce collège m'a apporté des choses magnifiques qui m'ont beaucoup servi par la suite. J'ai gardé mon réseau d'amis dense. Ça m'a permis d'avoir une capacité d'adaptation extraordinaire. J'ai rarement été dérouté par une situation, sur le plan professionnel ou ailleurs. J'y ai appris des choses très importantes. Par exemple, je mange tout. Je ne peux pas comprendre des gens qui disent ''je ne mange pas ceci''. Des choses que je ne connais même pas parce que cette école m'a forgée à m'adapter. Une force que j'ai apprise du collège.
Un autre élément, c'est cette ouverture d'esprit indispensable. Quand on a fait cette école, on ne peut pas dire ''ces gens sont bizarres ou ils font ceci''. Vous vivez avec des gens qui ont des valeurs différentes, à l'antipode des vôtres. Cette école m'a apporté beaucoup de choses qui m'ont marqué dans le développement de ma personnalité, de mon leadership, de ma capacité d'adaptation quasiment en permanence, une ouverture d'esprit et une approche du concret. Je n'ai jamais peur de l'inconnu, ni de l'adversité, ni du leadership. En face d'un problème, j'arrive toujours à faire face. Ça, honnêtement, je l'ai, en partie, appris là-bas car j'y ai connu l'incertitude, j'y ai connu des situations difficiles...
Après le Collège du Monde Uni, vous retournez dans le système français. Quels constats ?
Après ce passage dans un système complètement anglophone, si vous retournez en France, c'est plus difficile. J'étais de la première génération. Après, j'ai pu dire aux autres ''voilà ce que je vous conseille de faire''. J'étais le cobaye de la première expérience. Après, tous les autres ont pu bénéficier de mon expérience en termes d'orientation scolaire. Par exemple, à certains, j'ai dit ''écoute, tu dois faire le système anglophone compte tenu de tout ce que tu as fait. Si tu te retrouves en classe préparatoire en France, ça va être difficile''. Donc, il y a un besoin d'adaptation dans le système français. La plupart avaient un bon niveau pour faire Polytechnique France mais plusieurs ne l'ont pas fait à cause de l'équation de l'adaptation et de la différence importante entre les deux systèmes à des étapes clés.
Quel a été, par la suite, le parcours professionnel du cobaye ?
Après mes études supérieures en France (classes préparatoires et école de commerce de Pau), j'ai été directement recruté chez Ernst&Young où j'ai fait l'essentiel de ma carrière professionnelle, 16 ans, puisque je suis entré Auditeur et je suis sorti Associé international. Puis, j'ai bouclé mon diplôme d'Expertise- Comptable en 1990. Ernst&Young, bien qu'étant un concurrent, a été une excellente école. Après, je me suis retrouvé à la SFI (Société Financière Internationale, filiale de la Banque Mondiale), puis Associé chez Synergies Audit et Conseils avant de créer une start-up avec Mazars.
Au cours de ma longue vie professionnelle, j'ai eu à réaliser de nombreuses missions-phares de conseil et d'audit pour les plus grandes entreprises et institutions de la sous-région.
J'ai énormément appris dans la profession qui est d'une richesse et d'une profondeur incroyable avec des gens de grande qualité. La personne qui a eu le plus d'impact dans ma vie professionnelle est Libasse Diagne puisqu'il m'a beaucoup apporté dans ma maturation technique et professionnelle.
J'ai également occupé des fonctions institutionnelles. Président de l'Ordre des Experts Comptables pendant 3 ans après avoir été Vice- Président pendant 6 ans. Je suis actuellement membre du Comité Exécutif du Conseil Régional de l'Epargne et des Marchés Financiers. J'ai également exercé d'autres fonctions au sein de la FIDEF (administrateur) et du CCPC (membre).
Confirmez-vous ceux qui disent que l'évolution de Mazars Sénégal ressemble à une très belle sucess-story ?
Après 9 ans d'activités, c'est peu dans la vie d'une organisation, Mazars a pu se positionner comme un cabinet de premier plan dans le domaine de l'Audit et du Conseil avec des compétences diversifiées et sectorielles et un effectif global de 50 professionnels (hors personnel administratif).
Vous comprenez que les règles régissant notre profession ne me permettent pas de développer plus sur notre activité, nos valeurs, nos objectifs, notre stratégie ainsi que nos clients.
Disons simplement que nous avons grossi plus vite que prévu et notre défi actuel est de consolider ce qui a été fait et de capitaliser sur nos expériences réussies.
Un dernier mot aux jeunes qui voudraient suivre le même parcours ?
Le Collège du Monde Uni est un excellent concept qui permet à des jeunes de s'intégrer dans un monde multiculturel, de confronter leur vécu avec d'autres expériences pertinentes, de forger leur caractère et leur personnalité, mais aussi de développer leurs capacités de réflexion et de jugement. Au-delà des aspects scolaires, c'est une vraie école de la vie. J'encourage les jeunes intéressés à compétir pour y accéder et profiter de cette formidable expérience.