Les collèges du Monde Uni - UWC Senegal

Victor Ndiaye (Atlantic College 1979 - 1981) dans le Quotidien du 28 juillet 2010

LIBRES ECHANGES AVEC… Victor Ndiaye, Consultant, administrateur indépendant de la Sonatel  

     

 

28-07-2010

 

Le décret accordant à une société étrangère peu connue, Global voice group, la gestion des appels téléphoniques internationaux entrants, n’a pas fini de créer la controverse, bien que les pouvoirs publics gardent un mutisme peu rassurant face à l’offensive des employés de la Sonatel. Le Quotidien donne à partager ici la version d’un connaisseur des enjeux des télécommunications, en sa qualité d’administrateur indépendant de la Sonatel. Victor Ndiaye, d’habitude très discret dans ses engagements, ne manie pourtant pas la langue de bois dans cet échange.

 

 

«Ne pas confondre de petits intérêts avec l’intérêt général du pays»

 Quel est votre sentiment sur la polémique née du décret accordant à la société Global voice la gestion des appels entrants internationaux ?

 

 

J’ai le sentiment que le décret en question est une mauvaise réponse à une vraie question. La question, c’est comment partager la valeur créée par le secteur en plein boom des télécommunications. Partout dans le monde, les entreprises performantes de ce secteur gagnent beaucoup d’argent. C’est le cas de la Sonatel, à travers laquelle le Sénégal est devenu un des fleurons du secteur des télécommunications en Afrique et qui constitue une vraie manne pour l’économie sénégalaise, en tant que premier contributeur au Pib, premier payeur d’impôts, premier investisseur sur les 20 dernières années, premier créateur d’emplois directs et indirects. La Sonatel contribue également beaucoup à l’image internationale de notre pays, car elle est devenue dans le monde des télécommunications en quelque sorte ce que l’Equipe de football du Ghana a été pour l’Afrique à la dernière Coupe du monde, une fierté pour tous. Mais, face à des difficultés ponctuelles, les Etats ont tendance à se tourner vers ces sociétés florissantes pour dire : «J’aimerais bien augmenter ma part de votre gâteau !» Ce n’est pas propre au Sénégal. L’Australie l’a tenté il y a trois mois, avec une forte taxe sur les bénéfices des sociétés minières, ce qui a d’ailleurs coûté son pos­te au Premier ministre. Ici, on a vu tombé ce décret surprise, qui a décidé d’une augmentation des tarifs  des appels internationaux entrants, en mettant les gains induits dans les poches de l’Etat et d’une société étrangère. Ce texte fait un peu froid au dos. Non seulement, il ne respecte pas les textes réglementaires qui régissent le secteur, mais il menace l’avenir de la Sonatel. Personnel­le­ment, il m’a fait penser à cette fable de La Fontaine où, pour obtenir plus que les œufs d’or que pondait la poule, le propriétaire décide de l’éventrer, espérant qu’un grand stock d’œufs attendait dans le ventre. Vous connaissez la fin de l’histoire. Finis les œufs d’or et finie la poule.

 

 

En  quoi la revalorisation des ta­rifs des terminaisons d’appel met-elle en question les revenus de la Sonatel ?

 

 

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le trafic à l’intérieur du Sénégal ne constitue qu’une petite partie du chiffre d’affaires de la Sonatel. Vous savez, le trafic international des télécommunications fonctionne aujourd’hui comme le trafic aé­rien, où quelques aéroports internationaux ont réussi à devenir des hub, différentes compagnies aériennes leur envoyant un énorme trafic de transit pour convoyer les voyageurs vers d’autres destinations. Le mérite des dirigeants de la Sonatel, c’est d’avoir eu très tôt cette vision de la nécessité stratégique de faire de la Sonatel un grand opérateur régional. Donc bien avant toute cette explosion du secteur des télécommunications, ils ont su opérer les bons choix stratégiques (par exemple dans les réseaux satellites ou le câble sous-marin), tissé les partenariats internationaux adéquats et mis en place une gestion rigoureuse et exemplaire. Cela a payé. La Sonatel est aujourd’hui un hub régional et la maison mère de trois filiales étrangères (au Mali, en Guinée Conakry et en Guinée Bissau). Alors que se passera-t-il si, comme le prévoit le décret, les tarifs pour les opérateurs qui acheminent du trafic vers le Sénégal augmentent fortement ? Ces opérateurs vont tout simplement répercuter cette augmentation, totalement ou partiellement, sur les tarifs payés par ceux qui appellent le Sénégal, ou réorienter leur trafic de transit vers d’autres pays moins coûteux. En conséquence, les volumes d’appels, le chiffre d’affaires et le résultat de la Sonatel vont chuter, et surtout, sa dynami­que en cours, de bâtir un grand opé­ra­teur régional prendra un sérieux coup. Ce n’est pas seulement la Sonatel qui sera fragilisée, mais le Sénégal tout entier à travers un de ses atouts stratégiques majeurs.

 

 

L’Artp prétend de son côté que le Sénégal gagnerait beaucoup à travers cette nouvelle transaction ?

 

 

Je n’ai personnellement pas vu l’argumentaire de l’Artp et je doute franchement qu’elle puisse tenir de tels propos. On peut certes faire un calcul naïf du trafic international entrant multiplié par la surtaxe, ce qui donne théoriquement plus de 30 milliards par an, mais il faut être ignorant de la dynamique concurrentielle du secteur des télécommunications pour raisonner ainsi. Les volumes entrants vont baisser et on sera loin de ce chiffre. Mais cela n’est que la face visible de l’iceberg. A-t-on évalué en dessous tout ce que l’économie sénégalaise va perdre en recettes fiscales, en crédibilité et en compétitivité, avec son seul véritable fleuron économique totalement affaibli ? Tous nos amis étrangers nous appellent aujourd’hui pour dire : «Mais qu’est-ce qui se passe dans votre pays ?» Nous devons être extrêmement vigilants à ne pas confondre de petits intérêts à très court terme et l’intérêt général de notre pays à long terme.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, que l’Etat ne parvienne pas à expliquer clairement les enjeux de cette affaire ?

 

C’est une bonne question, car je suis persuadé que notre Etat dispose des compétences pour prendre les bonnes décisions et les défendre. Or, à ce jour, je n’ai entendu aucune autorité expliquer et défendre ce décret. Au fond, je pense que c’est plutôt rassurant. Je ne peux m’expliquer qu’un tel décret sorte de notre Administration, avec autant de failles juridiques et sans aucune concertation avec les acteurs du secteur. J’imagine, ce qui peut arriver dans n’importe quel Etat, qu’il y a eu une faille dans le processus de prise de décision et je n’ai aucun doute qu’au plus haut niveau, le sens de l’Etat prévaudra et permettra de revenir sur cette malheureuse décision.

 

Derrière les scandales récents, il y a semble-t-il souvent une so­ciété étrangère peu connue qui vient avec une solution miracle pour gagner beaucoup d’argent. Comment expliquez-vous cela ?

 

Il ne faut pas stigmatiser les entreprises étrangères, car nous avons besoin d’elles. A cet égard, et en tant que membre du Conseil présidentiel des investisseurs, je pense que le Sénégal a connu ces dernières années quelques avancées remarquables dans son environnement des affaires, avec le taux d’imposition des sociétés, les délais pour une création d’entreprise ou certaines infrastructures routières par exemple. Mais il me semble effectivement qu’un regard différent doit être porté sur le secteur privé national. Le Sénégal émergera lorsqu’il aura une dizaine de Sonatel, c’est-à-dire des entreprises sénégalaises capables de capter des richesses sur le marché international et de les ramener vers le Sénégal. C’est cela qui a ap­porté à la Chine, à l’Inde, à Sin­gapour, à la Malaisie, à Taiwan, au Chili, à l’Ile Maurice, à la Tunisie ou encore au Maroc la création de richesses et les milliers d’emplois qui ont permis leur émergence. Une filiale de multinationale c’est bien, mais seule une maison-mère peut être ambitieuse car c’est elle qui dicte les règles, occupe les emplois-clés et rapatrie les bénéfices. La question, c’est donc : combien de maisons-mères avons-nous au Sé­né­gal et sont-elles en train de se renforcer ? Combien de nouvelles maisons-mères apparaissent cha­que année ? Or, en 50 ans d’In­dé­pen­­dance, la Sonatel est la seule grande maison-mère dont notre pays dispose. Nous devrions à cet égard rendre l’honneur qu’ils méritent à ses dirigeants et veiller scrupuleusement au renforcement de sa position d’opérateur régional et au maintien d’une présence stratégique de l’Etat dans son actionnariat. Enfin, si nous voulons vraiment émerger, nous devons faire en sorte que naissent d’ici 2020, dans différents secteurs et à l’instar de la Sonatel, de nouveaux champions nationaux.

 

 

Propos recueillis par Mohamed GUEYE - mgueye@lequotidien.sn

 



29/07/2010
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